La consolidation des bourses s’est brutalement accélérée, en février dernier, avec l’annonce quasi simultanée du mariage du London Stock Exchange (LSE) avec les bourses de Toronto et Montréal (TMX Group), ainsi que des fiançailles entre NYSE-Euronext et la Deutsche Börse, puis avec l’offre non sollicitée que viennent de lancer conjointement le Nasdaq et ICE sur NYSE-Euronext.Cette surenchère du Nasdaq, associé à ICE, la bourse des marchés dérivés de matières premières d’Atlanta, a été présentée comme une manœuvre désespérée pour échapper à la marginalisation dans les grandes manœuvres en cours. Le Nasdaq avait déjà tenté, mais en vain, de prendre le contrôle du London stock Exchange, alors que ICE, de son coté, n’avait pas eu plus de succès en essayant de reprendre le Chicago Board of Trade de Chicago (CBOT), tombé dans l’escarcelle du CME de Chicago, le n°1 mondial des échanges sur dérivés. Ce qui ne veut pas dire que leur offre conjointe n’est pas vouée à l’emporter, cette fois ci, d’autant qu’elle aura la faveur aux Etats Unis peu enclins à voir le NYSE passer sous la coupe allemande.
Les deux offres, qui sont désormais sur la table du NYSE, ne répondent pas au même «business model».
Le rapprochement NYSE-Euronext /Deutsche Börse) crée une «méga entreprise de marché» regroupant à la fois des activités de trading d’actions et de produits dérivés. Le principal moteur de cette consolidation est à rechercher du côté des marchés dérivés, la partie la plus profitable de l’activité des bourses, qui connait la croissance la plus forte. La réforme des marchés dérivés de gré à gré, dits OTC, qui est en cours, va se traduire par un rapatriement d’une partie de ces marchés OTC -l’essentiel des produits dérivés aujourd’hui - vers des marchés organisés. C’est un enjeu considérable pour les bourses que de gagner ce nouveau business.
Grace à cette consolidation, EUREX, le n°2 mondial des marchés «organisés» de produits dérivés, qui dépend de la Deutsche Börse, serait en mesure d’acquérir une position tout à fait dominante en Europe, en prenant le contrôle du LIFFE de Londres (NYSE-Euronext), et une position forte aux Etats Unis. C’est un défi majeur pour le CME de Chicago, qui se verrait plus durement concurrencé à domicile et privé de ses possibilités d’expansion en Europe.
L’offre de Nasdaq – ICE est aux antipodes de ce modèle congloméral et «intégré». Elle repose sur une spécialisation, Nasdaq ne récupérant que les activités de trading sur actions –son métier - et ICE les activités sur produits dérivés. On assisterait, en conséquence, à un démantèlement de NYSE- Euronext. Nasdaq prendrait alors la tête d’une grande bourse transatlantique des actions comprenant Euronext alors que ICE ferait de même pour les produits dérivés, se posant ainsi, en reprenant le LIFFE, en concurrent très sérieux d’EUREX en Europe.
L’une et l’autre offre pose d’énormes problèmes de position dominante, qu’auront à trancher les autorités de régulation compétentes.
Nasdaq et le NYSE représentent encore 50% du trading d’actions aux Etats Unis, en dépit de l’érosion de leurs parts de marché face aux bourses alternatives (BATS, Direct Edge…). Ce qui fait problème aussi, c’est le monopole que s’adjurerait le nouvel ensemble dans le domaine des IPO. Mais en Europe, la combinaison Euronext -Deutsche Börse aurait une position tout aussi dominante dans les marchés de produits dérivés (en particulier de taux d’intérêt) et de clearing (compensation).
Pendant ce temps-là, l’Asie reste à l’écart de cette frénésie consolidatrice, surfant sur une activité en forte croissance. Le rapprochement un moment envisagé entre les bourses de Singapour et de Sydney vient de se heurter à une fin de non-recevoir des autorités australiennes considérant qu’il serait contraire à l’intérêt national.
Cette course au gigantisme suscite de nombreuses interrogations.
On peut se poser, incidemment, la question de savoir si la Place de Paris, qui n’est plus un sujet agissant dans cette affaire, ne devrait pas incliner vers une solution Nasdaq, qui lui redonnerait de l’importance vis-à-vis de Francfort alors que, autrement, elle risque d’être totalement phagocytée.
Surtout, on peut se demander si la création de ces « méga- bourses » est bien de l’intérêt de leurs usagers alors que les régulateurs s’étaient attachés à susciter une certaine concurrence et à favoriser l’essor de bourses alternatives. Attacheront-elles encore suffisamment d’attention aux introductions en bourse, dont elles ont le monopole, et à la vie boursière des small et des midcaps dans les différents pays concernés, ce qui est pourtant un enjeu économique vital ? On peut en douter.
S’il fallait choisir entre les deux modèles, «congloméral» (Deutsche Börse) ou «spécialisé» (Nasdaq – ICE), c’est, sans doute, ce dernier qui serait préférable du point de vue des usagers.
Les bourses, même si elles s’adonnent aux délices des OPA, ne sont pas des entreprises comme les autres : ce sont des entreprises de marchés qui font, à juste titre, l’objet d’une régulation. Ne serait-il pas approprié que les régulateurs des deux côtés de l’Atlantique se donnent la main pour arrêter cette course au gigantisme en déclarant, comme aux échecs, la partie «pat» ? «Too big to merge». Chacun serait ainsi invité à rentrer dans ses foyers, la taille de ces acteurs pouvant être considérée comme largement suffisante. C’est le plus raisonnable mais pas le plus probable malheureusement.
On aime bien le "pat" et le Too Big To Merge.
RépondreSupprimerJ.