vendredi 24 septembre 2010

Les banques, en France, devront garder sur «leurs livres » 5 % des actifs qu’elles titrisent : un petit amendement au modèle "originer et distribuer"


Les banques et les entreprises d'investissement françaises devront, à compter de 2011, conserver dans leur bilan au moins 5% des actifs ayant fait l'objet d'une titrisation, en vertu d'un arrêté du ministère de l'Economie paru ce vendredi au Journal officiel.
Cette règle devient le nouveau standard international : elle a déjà été adoptée aux Etats Unis, où elle est désignée sous le nom évocateur de «skin in the game rule».
L’objet est de s’assurer que les banques distributrices conservent bien une implication minimum « en risque ».
La portée en est toutefois moindre, de ce côté ci de l’Atlantique, où la titrisation («securitisation ») a été beaucoup moins développée qu’aux Etats Unis.

La titrisation
La « securitisation », la titrisation, fait son apparition, aux Etats Unis, dans les années 70. Elle consiste à céder un portefeuille de créances à une entité ad hoc (« SPV » pour Special Purpose Vehicule) qui va émettre plusieurs tranches de titres, sur les marchés de capitaux, pour en financer l’acquisition.

La titrisation a de nombreuses vertus : épargner le capital des banques qui « originent et distribuent » ; rendre liquide des actifs, qui seraient autrement illiquides, en les transformant en instruments de marché ; transférer le risque de crédit des portefeuilles vers des investisseurs finaux.
La securitisation a été moteur dans l’essor du modèle «originate and distribute».
Elle a de nombreux sous-jacents : crédits hypothécaires (RMBS, CMBS), crédits à la consommation, encours sur cartes de crédit, crédit automobiles, prêts étudiants…
Le marché de la securitisation a pris une ampleur considérable aux Etats Unis où il représente près de 40 % du marché obligataire.

Ses principales composantes :
.les ABS, Asset Backed Securities assis sur différents types de portefeuilles de créances (crédits à la consommation, crédit auto, prêts étudiants…)
.les Mortgage Backed Securities (MBS), assis sur des crédits immobiliers, prenant notamment la forme de RMBS (Residential Mortgage Backed Securities) et CMBS (Commercial Mortgage Backed Securities),
.les ABCP, les Asset backed Credit Paper, « conduits » qui émettent des billets de trésorerie garantis par des actifs
.CDO (Collateralized Debt Obligation) et CLO (Collateralized Loan Obligations) qui ont bénéficié d’un grand engouement dans les années 2000, se complexifiant à l’excès qui ont été durement touchés par la crise du subprime, un de leur sous-jacent important.

En Europe, le marché de la titrisation n’a vraiment démarré que dans les années 90. C’est un marché qui reste assez marginal, même s’il a cru assez rapidement, avant de pâtir, lui aussi, de la crise du subprime. Une des formes européennes de titrisation, qui a connu un succès certain, est constitué par les « covered bonds », des émissions d’obligations sécurisées généralement par des créances hypothécaires. Ce sont les Pfandbriefe en Allemagne, les Cedulas en Espagne, les Covered Bonds au Royaume Uni, les Obligations Foncières.

Le marché de la securitisation a été durement touché par la crise du subprime. Il peine aujourd'hui à redémarrer.

Le modèle « originer et distribuer »

Le modèle « originer et distribuer » ne se limite toutefois pas, et de loin, à la titrisation.
Le modèle « originate and distribute » des banques d’investissement a supplanté, dans les années 2000, le modèle plus traditionnel dit « buy and hold » des banques commerciales, octroyant des prêts et les gardant sur leurs livres et dans leurs bilans.

Ce modèle a une justification fondamentale de marché, qui tient au fait qu’il existe, d’un côté, des émetteurs, désireux de réaliser des opérations et, de l’autre, une base mondiale et diversifiée d’investisseurs sophistiqués, intéressée à investir dans ces opérations. C’est ce qui fonde le modèle et le rôle « naturel » d’intermédiaire joué par les banques d’investissement.

Le modèle « originate and distribute » ne se limite pas à la securitisation, car il concerne tous les actifs qui sont vendus (« distribués ») à des investisseurs : actions, obligations, crédit, financement d’acquisition, financement LBO, financement de projet…C’est devenu le cœur du fonctionnement intégré des banques d’investissement : origination-syndication-structuration/trading-distribution.

En effet dans l’organisation de la banque on a désormais une « chaine » origination (les banquiers et les originateurs en charge des clients et de monter les opérations) – distibution (les vendeurs), coordonnés par la syndication qui fait l’interface avec le marché et les autres banques, avec l’intervention éventuelle de la stucturation et du trading si les produits distribués ne sont pas des produits simples et sont « repackagés ».

Parfois « la chaîne » joue dans le sens inverse, de la distribution vers l’origination. C’est le « reverse inquiry » : la banque va partir du besoin exprimé par l’investisseur pour originer un produit simple (par exemple une émission d’obligations réservée à un assureur avec des caractéristiques « sur mesure » correspondant à ses besoins de gestion actif-passif) ou plus complexe (produit structuré de crédit par exemple).

Le modèle « marchéise » ainsi et donne une liquidité à des actifs, comme les crédits, qui, auparavant, étaient illiquides.
Il serait d’ailleurs difficile de revenir au modèle de «buy and hold» qui voyait les banques conserver sur leurs livres les opérations de financement de dette, car leur capital n’y suffirait plus et ne permet plus de faire face – sans l’intervention d’investisseurs – aux besoins de financement de l’économie mondiale.

Les défaillances du modèle
Le modèle, à l’épreuve du feu de la crise du subprime, n’a pas tenu toutes ses promesses pour garantir une meilleure stabilité du système financier – il a plutôt joué dans le sens de la déstabilisation - contrairement à la vision qui prévalait avant la crise.

La crise a mis en évidence les défauts suivants :

-la large dispersion des risques recherchées n’a pas été atteinte car les banques avaient gardé, en fait, beaucoups plus de risque que l’on pensait, en conservant les parties les plus risquées de ces actifs ou en les récupérant via leurs desks de proprietary trading
-la difficulté de « tracer » les actifs distribués a contribué à la crise de confiance dans les banques
-les banques dès lors qu’elles distribuaient la totalité d’une opération n’avaient plus d’incitation à gérer les risques qu’elles avaient transférés
-le modèle en transformant des crédits en instruments de marché peut accroitre le risque systémique et l’instabilité du système financier

Les corrections à apporter aux défauts du modèle

La solution n’est pas de tuer le modèle « originate and distribute » qui correspond à un besoin du marché et à une nécessité pour les banques.

Elle réside dans un meilleur usage de celui-ci : moins de complexité, plus de transparence pour les investisseurs finaux, plus de distribution à de vrais investisseurs finaux plutôt qu'à des desks de proprietary trading et d’arbitrage.

Elle passe également par une implication plus forte, en risque, des banques distributrices, ce qui est l’objet de la « skin in the game rule », appliquée aux opérations de titrisation et qui mériterait de s’appliquer à d’autres types d’opérations.

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