dimanche 8 novembre 2009

Bonus:pourquoi tant de haine?







Les ministres des finances du G20 ont reparlé des bonus en Ecosse ce weekend end. Les bonus méritent- ils cet excès d’honneur ou d’indignité ? Nous ne le pensons pas. Le bonus est en effet un mécanisme important et nécessaire du (bon) fonctionnement des banques d’investissement.

Leur « économie » est très simple. C’est une industrie devenue très capitalistique avec le développement des activités de marché et de financement. L’efficacité capitalistique est appréciée au travers du ROE, c’est-à-dire le revenu net avant ou après impôt rapporté au capital utilisé. Le ROE après impôt de l’Industrie a été de 15 % en moyenne sur longue période.

Mais la Banque d’investissement est fondamentalement une industrie de main d’œuvre -un « people business à vrai dire. L’ensemble des coûts de fonctionnement « mangent », en moyenne de cycle, les 2/3 (65 %) des revenus des banques d’investissement . C’est le fameux « Cost to Income ratio » (Coûts/Revenus) qui mesure l’efficacité opérationnelle de la banque .

Les rémunérations des employés (salaire fixe+bonus= « total compensation ») représentent, pour leur part, entre 40 et 50 % du total de ces revenus. C’est le « total Comp »ratio(total Compensation/Revenus).

En d’autres termes les coûts de personnel représentent les 2/3 du total des coûts des banques d’investissement , le reste des coûts étant , pour l’essentiel, constitué du budget informatique.

Dans le « total Compensation »- les coûts de personnel -la part des salaires fixes est de 1/3 et celle des rémunérations variables -les bonus- de 2/3 (bien entendu la pondération dans les rémunérations individuelles est très variable, la proportion prise par le bonus étant d’autant plus grande que celui est élevé).

Pour récapituler simplement, les bonus représentent ,en moyenne de cycle, les 2/3 des coûts de personnels (total Compensation) qui , eux-mêmes, représentent les 2/3 de l’ensemble des coûts de la banque d’investissement qui , à leur tour ,représentent les 2/3 des Revenus (Cost to Income ratio). Simple, non ?

Cela veut dire, pour revenir à eux , que les bonus représentent, en moyenne, de l’ordre de 30 % des revenus (les 2/3 de 40 à 50 %). C’est une variable d’ajustement essentielle dans une Industrie extrêmement cyclique, avec des hauts et des bas, et où donc les bonus peuvent –et doivent- varier, suivant la conjoncture, de beaucoup à zéro. Cette importance de la rémunération variable est ,en fait, un héritage de l’époque où les banques d’investissement étaient des Partnership.

Thomas Philippon, Professeur à l’Université de New York, qui a étudié les salaires de la Finance sur longue période aux Etats Unis (« Wages and Human Capital in the US Financial Industry,1906-2006 »), a montré que les rémunérations dans la Finance étaient, en moyenne, en 2006, supérieures de 40 % aux autres secteurs économiques, avec un découplage qui s’est accentué à partir du milieu des années 90 et qui peut se justifier, pour partie, par un niveau de qualifications et de diplômes plus élevés.

On a accordé beaucoup d’attention aux règles sur la politique de rémunération des opérateurs de marché adoptées par le G 20 (voir, en lien, le « code de conduite » français de la FBF et le britannique édicté par le FSA). Mais ,à dire vrai, celles- ci ne sont pas véritablement révolutionnaires (voir, en lien, une étude d’Oliver Wyman « Compensations in financial services : industry progress and the agenda for change, August, 2009 »). Elles correspondent très largement à de « bonnes pratiques » qui existaient déjà dans un certain nombre de banques d’investissement (dont les principales BFI françaises)avant la crise :bonus versés sur trois ans, payés en partie en actions (d’où un intéressement à une performance durable), bonus garantis limités à un an, parfois certains mécanismes de « clawback »(reprise) en fonction des performances ultérieures, « bonus pool » déterminé en fonction d’un coût du capital ajusté des risques pris. Les règles posées par le G 20 vont simplement un peu plus loin et généralisent ces bonnes pratiques dont il est vital qu’elles soient effectivement appliquées par tous et partout (voir à ce sujet, en lien, l’interview de Marcus Agius, Président de Barclays). Elles mettent l’accent aussi – et c’est une bonne chose- sur une délibération plus approfondie des Conseils d’Administration sur la politique de rémunération.

Les feux de la rampe se sont focalisés sur les bonus des « traders » qui sont effectivement plus élevés que ceux des « banquiers »(M&A, Coverage, ecm, dcm, financements structurés) et des « fonctions support »(Informatique, back offices, RH, contrôleur de gestion…)qui ferment la marche. Pourquoi cette hiérarchie ? Tout simplement parce que c’est dans les salles des marchés que l’on gagne le plus d’argent. Mais les bonus extravagants de quelques traders star à Wall Street ou la City ne doit pas jeter l’opprobre sur les salles de marché et les milliers de gens qui y travaillent car ces activités sont très importantes non seulement pour les banques mais également pour leurs clients. C’est en effet dans les salles des marchés que l’on fabrique ,pour eux, les produits de couverture (flow products) ou plus « structurés »contre les risques de taux, de change, de matières premières, des marchés actions…

La profitabilité des salles de marchés qui ont été de nouveau très élevés en 2009- année marquée par des circonstances et une volatilité exceptionnelles des marchés- risque d’être plus difficile dans les années à venir et de voir se réduire en conséquence le « bonus pool ».Et cela pour deux raisons :une croissance économique ralentie ;un alourdissement important et justifié de la charge en capital des activités de marché , qui vient d’être triplée (voir post précédent), dans la nouvelle Réglementation Bancaire (Bâle 2) .

Il importe que la politique de rémunération des banques d’investissement prévienne le court- termisme et la prise de risque excessive. C’est un élément de la nouvelle Régulation à mettre en place mais qui n’est , ni le plus novateur, ni, il faut le dire, le plus important. Et ce débat ne doit pas occulter des facteurs qui ont joué un rôle plus important comme fauteurs de crise, tel que, par exemple ,le sujet, peu débattu jusqu’à maintenant, de la bonne gouvernance des banques et de l’organisation de leur risk management.

Notons aussi, au passage, que la détention de plus du tiers du capital de Bear Stearn ou de Lehman Brothers par leurs salariés n’a pas empêché ces banques de prendre des risques excessifs pour aller, in fine, « au tapis ».

La part importante des bonus dans la rémunération s’accompagne souvent de salaires fixes relativement faibles. Du coup ,à la faveur de la crise, certaines banques d’investissement ont réévalué les salaires fixes, ce qui n’est pas forcement très avisé car cela réduit sensiblement la flexibilité d’une Industrie très cyclique.

Ce propos sur le bonus ne doit pas être mal interprété : s’il s’attache à montrer toute l’importance et l’intérêt du bonus comme mécanisme de (bon) fonctionnement des banques d’investissement, il ne justifie ni l’irresponsabilité ,ni le manque de sens politique et de décence dans la détermination des rémunérations, dans un contexte de crise économique et après intervention du contribuable

Liens:

-Le "code de conduite "édicté par le FSA:
-Le "code de conduite adopté par la FBF:

-L'étude d'Oliver Wyman :"Compensations in Financial Services:

-Interview du Président de Barclays:

-La research de Thomas Philipon:

1 commentaire:

  1. L'hysterie collective sur ce sujet est a la hauteur de la Grande Panique de 2008. Jacques Julliard ose ecrire dans le Nouvel Observateur du 29 octobre:"J'ai déjà indiqué ici que la folie de l'enrichissement, chez les financiers, est devenue une véritable lèpre systémique; car c'est elle, cette folie, auri sacra fames, qui explique la course vertigineuse de la spéculation, la création de bulles financières totalement extravagantes...
    Nous vivons au quotidien, nous mangeons, nous voyageons, nous aimons, nous raisonnons, nous éditorialisons comme si le monde entier n'était pas gouverné par des fous, j'entends des fous cliniques, que le moindre bon sens commanderait d'enfermer : les maîtres de la finance, qui retournent, une fois l'alerte passée, à leur thésaurisation comme des détraqués sexuels à leurs fantasmes. A quand une castration chimique pour les banquiers ?"
    Chronique de Jacques Julliard, Le Nouvel Observateur semaine du 29 octobre 2009

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